On dit souvent que Jésus a été condamné parce qu’il aurait affirmé être fils de Dieu, ce qui aurait été un blasphème. Les choses sont plus subtiles. Jésus n’a pratiquement pas dit qu’il était fils de Dieu ; il a montré qu’il faisait l’œuvre de Dieu son Père. Il permet à ses contemporains de reconnaître que Dieu n’est pas simplement celui qui a été l’origine de tout à la Création ; Dieu continue à agir dans le monde. Dieu n’est pas extérieur au monde, Jésus rend visible cette action divine dans l’aujourd’hui de l’histoire. Les interlocuteurs de Jésus rechignent, bien qu’ils voient parfaitement les œuvres de Jésus, à reconnaître que ces œuvres sont bel et bien celles de Dieu et qu’elles appellent une confiance radicale en Jésus, l’envoyé du Père. Nous pouvons être tentés de rester aveugles aux œuvres que Dieu accomplit aujourd’hui dans nos vies et autour de nous ; en étant aujourd’hui attentifs à ces œuvres nous pourrons nous laisser entraîner davantage dans la vie de Dieu.
« La foi de la Vierge Marie change le cours de l’histoire »
Quand Marie dit oui à l’archange Gabriel, le Fils de Dieu prend chair dans son sein et l’histoire humanité bascule dans le temps de la grâce divine. Oui, c’est par la foi de Marie que l’humanité va recevoir le Salut, « grâce sur grâce » (Jn 1, 16). Désormais l’histoire des hommes n’est pas aveugle, elle a un sens et un sens heureux. Une femme, mère par l’opération du Saint-Esprit, accueille le Fils de Dieu au nom de son peuple Israël et de toute l’humanité. Elle le reçoit et elle le donne. Aucun homme n’a pu accomplir une telle merveille. Depuis la première femme symbolique, Ève, l’humanité souffrait de l’éloignement de Dieu. Par une femme, Marie, nouvelle Ève, l’humanité retrouve l’union intime avec Dieu.
Marie vit en état de grâce mais elle n’est pas la seule à se réjouir de la grâce divine. Ceux qui croient à la suite de Marie sont aussi comblés de l’allégresse de l’Esprit Saint.
« Là où le péché avait abondé, la grâce a surabondé » (Rm 5,20), enseigne saint Paul en commentant l’avènement de Jésus le Christ, le nouvel Adam, l’Homme nouveau. Désormais, par le mystère de l’Incarnation, l’existence quotidienne deviendra une fête. La présence de Dieu emplira d’amour le cœur des chrétiens.
En fêtant de manière solennelle l’Annonciation, nous fêtons Jésus Sauveur, né d’une femme, Marie. Il s’agit avant tout d’une fête christologique plutôt que mariale.
Comblée de grâce, prédestinée de toute éternité, dès avant la fondation du monde, à la maternité divine, Marie de Nazareth a reçu tout d’abord le Fils de Dieu dans son âme par la foi. Saint Augustin, le grand docteur de l’Église, explique la grandeur de Marie en tant que disciple. Elle a conçu le Fils de Dieu, d’abord dans son cœur, en adhérant au message de l’ange Gabriel, avant de le concevoir dans ses entrailles maternelles. « Ce qui est dans l’âme est davantage que ce qui est dans le sein corporel», s’exclame l’évêque d’Hippone. Grâce à la confiance de Marie, l’humanité entière vivra désormais avec le Christ ressuscité comme le montre le rite du cierge pascal : « Christ, hier et aujourd’hui, commencement et aboutissement, alpha et oméga. À lui le temps, à lui l’éternité, à lui la gloire et la puissance pour les siècles des siècles. Amen. »
La fête de l’Annonciation nous concerne par conséquent directement. Par la Vierge Marie s’accomplit, pour nous, le plan divin du Salut. Dieu le Père nous bénit dans le Fils de Marie et nous sommes appelés à devenir « des fils adoptifs par Jésus-Christ » (Ep 1,5). C’est pourquoi la joie de Dieu reçue par Marie à l’Annonciation passe aussi en nous qui croyons au Verbe fait chair. Aujourd’hui l’Église exulte d’allégresse.
Saint Joseph, l’époux de Marie, a été aussi « élu de Dieu dès avant la fondation du monde » pour accomplir sa mission de père adoptif de Jésus, le Fils de Dieu fait homme. Dans la grâce du mariage, Joseph a partagé la foi et la mission de son épouse, Marie. La grâce accordée à Marie est passée en Joseph par l’union du mariage. La grâce répandue sur Joseph a fortifié et illuminé le cheminement spirituel de Marie. Marie et Joseph ont partagé leur relation avec Dieu et leur recherche commune de la volonté de Dieu, en veillant sur Jésus. Par le mariage avec Joseph, Marie n’a pas agi en « mère célibataire » mais en épouse. Par les origines de Joseph, de la maison du roi David, Jésus sera reconnu comme Messie.
Le Seigneur était avec Marie. Le Seigneur était avec Joseph. Ensemble ils ont élevé Jésus dans foi d’Israël. En éduquant Jésus, Marie et Joseph ont grandi en âge, en grâce et en sagesse. Aujourd’hui nous célébrons la vocation de Marie, mais aussi celle de Joseph. Vocations distinctes et complémentaires au service de la vie de Jésus et de l’humanité.
Il y a 25 ans, l’enlèvement des moines de Tibhirine
Il y a 25 ans, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, les moines de Tibhirine (Algérie) étaient enlevés. En apprenant quelques semaines plus tard, en mai 1996, leur assassinat, le monde a aussi découvert l’incroyable témoignage d’espérance et d’humanité de ces frères entièrement consacrés à Dieu et à leur prochain.
Luc, Christian, Christophe, Michel, Célestin, Bruno, Paul. Les prénoms des moines de Tibhirine se suivent et se récitent comme une douce et douloureuse litanie. Douloureuse quand on pense à leur enlèvement, dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, puis à leur assassinat. Mais si douce quand on découvre ce que furent leurs vies données, entièrement, et le lumineux témoignage de foi et de charité qu’ils ont laissé.
Les sept moines de l’ordre cistercien ont été enlevés dans leur monastère de Notre-Dame de l’Atlas, sur les hauteurs de Médéa, en Algérie. La première revendication de leur enlèvement, signée du chef du GIA Djamel Zitouni, n’est communiquée qu’un mois plus tard, le 26 avril. Un communiqué, le 23 mai suivant, affirme qu’ils ont été exécutés deux jours plus tôt. Mais seules les têtes sont retrouvées sur une route, le 30 mai 1996. Dans les mois et les années qui suivent, plusieurs éléments jettent un trouble sur les circonstances de la mort des moines. Le plus récent est un rapport datant de février 2018 dans lequel des experts soulignent que des traces d’égorgement n’apparaissaient que pour deux des moines et que tous présentent les signes d’une « décapitation post-mortem », de quoi alimenter les soupçons d’une possible mise en scène.
Le dernier rebondissement est une lettre en date du 21 juin 2019 envoyée par l’avocat des familles des sept moines assassinés, Mr Patrick Baudouin, demandant aux magistrats de délivrer une nouvelle commission rogatoire internationale afin que l’ancien président algérien (1999-2019), Abdelaziz Bouteflika, et le général Mohamed Mediene (qui dirigeait à l’époque des faits le département du renseignement et de la sécurité, ndlr) puissent être entendus « le plus rapidement possible ». Une demande restée pour le moment sans réponse. Mais si des zones d’ombres entourent la mort des moines de Tibhirine, leurs vies, elles, sont d’une limpidité et d’une espérance bouleversantes, comme en témoigne leur béatification le 8 décembre 2018 par le pape François, en même temps que les autres martyrs d’Algérie.
Notre-Dame de l’Atlas, le monastère où ont vécu les moines de Tibhirine, a été fondé en 1938. « C’était une grande bâtisse un peu austère mais chaleureuse et accueillante, construite en face d’un des plus beaux paysages du monde : les palmiers, les mandariniers, les rosiers se dessinaient devant les montagnes enneigées de l’Atlas ». C’est avec ces morts que l’écrivain Jean-Marie Rouart à décrit le monastère Notre-Dame de l’Atlas dans un discours sur la vertu prononcé en 2001 à l’Académie française. « Des hommes avaient choisi de s’installer dans ce lieu loin de tout mais proche de l’essentiel, de la beauté, du ciel, des nuages. Ce n’étaient pas des hommes comme les autres : ils n’avaient besoin ni de confort ni de télévision. Ce qui nous est nécessaire leur était inutile, et même encombrant. » L’ensemble des moines y vivent de la prière et de leur travail agricole.
Avec l’indépendance du pays en 1962, la question de l’avenir du monastère s’était posé à plusieurs reprises. Et finalement, ils étaient restés. La présence des moines se faisait plus discrète. Frère Luc, médecin, dispense alors des soins auprès du voisinage tandis que frère Amédée, par exemple, donne des cours aux enfants. La communauté s’engage auprès des autorités à un devoir de réserve strict et à ne pas dépasser le nombre de douze moines. « Nous en sommes arrivés à nous définir comme “priants au milieu d’autres priants”. Venant de notre cloche ou du muezzin, les appels à la prière établissent entre nous une “saine émulation réciproque” », peut-on lire dans un texte écrit par la communauté pour le Synode romain sur la vie consacrée de 1994. « On aurait plutôt le sentiment d’être “mieux compris” que ne le sont certains monastères dans leur environnement de vieille chrétienté ».
Ces hommes, ces moines, dont Xavier Beauvois a magnifiquement rendu hommage dans le film Des hommes et des dieux, n’ont pas quitté l’Algérie malgré les menaces et les mises en garde. Ils ont pardonné à l’avance leurs agresseurs. Ils ont librement choisi de ne pas abandonner et d’être fidèles à l’appel de Dieu. « Prêcher l’Évangile en silence » comme le bienheureux Charles de Foucauld. Les moines de Tibhirine ont laissé un héritage spirituel fort : apôtres de la paix et du dialogue, ils ont véritablement donné leur vie, faisant le choix de rester fidèles à leur Église mais aussi à leurs frères algériens, au milieu desquels ils avaient souhaité vivre.
Luc, Christian, Christophe, Michel, Célestin, Bruno et Paul partageaient une vie communautaire ordinaire et en ont fait une chose extraordinaire. Ils formaient une vraie communauté monastique tout en ayant chacun un itinéraire spirituel individuel. Paul était un vrai artisan. C’était un homme simple et sans artifice, avec une spiritualité très incarnée. Chez Luc, sa discrétion et son humilité naturelles ont transformé son service pour les malades en la plus belle des prières. Michel était un véritable gardien de la prière de la fraternité. Quant à Bruno, il a puisé dans l’adoration eucharistique la force de surmonter ses fragilités, de se dépasser jusqu’à faire le don de sa vie. Célestin était habité par les plus pauvres et les plus marginaux — c’est « avec eux » qu’il est entré dans la vie monastique. Et Christophe (le supérieur de la communauté, ndlr), quant à lui, c’est dans la poésie qu’il a su trouver les mots pour traduire l’expérience et le souffle du Christ. Mais leur message, tout en étant celui de chaque frère, dans le parcours et la spiritualité de chacun, est d’abord celui de la fraternité qu’ils ont porté ensemble grâce aux dons du Christ.
Tous différents mais tous convaincus de leur mission et de leur place, en Algérie. Mettant leurs pas dans ceux de Charles de Foucauld, ils ont choisi de s’abandonner entièrement au Seigneur. En témoigne d’ailleurs les nombreux écrits de chacun. Le plus connu est bien entendu le testament spirituel de Christian de Chergé et cette phrase, particulièrement forte : « S’il m’arrivait un jour — et ça pourrait être aujourd’hui — d’être victime du terrorisme qui semble vouloir englober maintenant tous les étrangers vivant en Algérie, j’aimerais que ma communauté, mon Église, ma famille, se souviennent que ma vie était DONNÉE à Dieu et à ce pays ». « Dans son testament, frère Christian savait qu’on lui reconnaîtrait un échec ou de la naïveté. Il avait subi de nombreuses pressions pour quitter Tibhirine qui devenait un lieu de plus en plus menacé », confiait il y a trois ans à Aleteia son neveu, Bruno de Chergé. « Lui cherchait à établir des ponts. Ils voulaient que les gens se parlent, qu’il y ait un retour à la transcendance qui est vecteur de paix. Une religion doit être facteur de paix, elle relie. C’est ce qui habitait frère Christian ».