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Lundi 28 juin

Parole de Dieu : Matthieu 8,18-22

Commentaire :

Suivre Jésus… telle est la question qui habite celui qui rencontre l’homme de Nazareth, ce prophète itinérant, le Maître dont la parole fait autorité. Le scribe comme le disciple en deuil sont attirés par celui qui se tient sur le rivage de leur vie. D’emblée surgit l’appel pressant à ne plus se séparer de Lui. Mais voilà, les contingences du monde sont là : sécurité et précarité de l’existence humaine nous hantent et nous retiennent pour faire le pas décisif.
Aurons-nous cette audace folle, celle de « se jeter au cou de Jésus » ? comme le disait un grand théologien Karl Rahner :


« Il est réellement possible d’aimer Jésus, par- delà tous les espaces et tous les temps. On lit les Saintes Écritures, exactement comme deux êtres qui s’aiment, se regardent l’un l’autre et vivent ensemble leur vie de tous les jours. On ressent très profondément, dans la profondeur de son existence, ce que Jésus a concrètement à dire à chacun. On se laisse effectivement dire par lui, pour sa propre vie, quelque chose d’important que l’on ne saurait pas sans lui. En vérité, voyez-vous, il faut tout de même bien le dire on n’a encore quelque chose à faire avec Jésus que si on lui saute au cou, que si l’on réalise, dans la profondeur de son existence, que quelque chose comme cela est possible même aujourd’hui. J’estime qu’en vertu de la nature même de l’amour en général et en vertu particulièrement de la puissance de l’Esprit Saint de Dieu, on peut, traversant dans l’amour espace et temps, aimer effectivement Jésus d’une manière véritablement immédiate et concrète. Il peut en effet s’approcher de nous dans une extrême proximité concrète et historique, justement pour cette raison fondamentale qu’il paraît être disparu dans l’insaisissable profondeur de Dieu. Et il le fait effectivement, à la condition bien sûr, que nous voulions nous-mêmes l’aimer, à la condition que nous ayons l’audace de lui sauter au cou ! » (Aimer Jésus – Karl Rahner)

Saint Irénée :

Pourquoi y a-t-il quatre évangiles ? Quel est le cœur du message de chaque évangéliste ? C’est saint Irénée qui nous l’apprend. Redécouvrons l’enseignement de ce Père de l’Église qui fut le premier théologien à parler des évangiles. 

 Pourquoi quatre évangiles ? Pour un début de réponse à cette question, il faut se tourner vers l’œuvre d’Irénée de Lyon. Ce Grec qui écrivait vers 180 de notre ère fut évêque de Lyon. L’Église d’Occident le fête le 28 juin, même si en 2020, « Année saint Irénée » pour les Lyonnais, cette fête est occultée par le dimanche.

De la mémoire des apôtres aux évangiles : Irénée, dans son grand ouvrage Contre les hérésies, est en effet le tout premier auteur chrétien à parler des « Évangiles » et à s’interroger sur leur nombre. Avant lui, saint Paul, puis Ignace d’Antioche évoquent « l’Évangile », la proclamation du salut en Jésus-Christ, et saint Justin, vers le milieu du IIe siècle, décrit les assemblées chrétiennes comme comportant la lecture des prophètes et des « mémoires des apôtres », c’est-à-dire très probablement des Évangiles, à propos desquels Irénée donnera davantage de précisions une vingtaine d’années plus tard. Partant de la constatation que quatre Évangiles bien caractérisés font partie du patrimoine de l’Église, il les présente d’abord en relation avec leur auteur, en évoquant rapidement les circonstances de leur rédaction :

« Matthieu d’abord, qui prêchait aux juifs dans leur propre langue, édita une version écrite de son Évangile, dans les années où Pierre et Paul annonçaient l’Évangile à Rome et fondaient l’Église. Après leur mort, Marc, disciple et interprète de Pierre, nous transmit aussi par écrit la prédication de Pierre. Quant à Luc, le compagnon de Paul, il consigna aussi dans un livre l’Évangile que celui-ci prêchait. Jean enfin, le disciple du Seigneur, celui également qui a reposé sur sa poitrine, a lui aussi donné l’évangile, à l’époque où il séjournait à Éphèse en Asie » (Irénée, Contre les hérésies, Livre III, 1, 1).

De Matthieu à Jean, de la première prédication palestinienne à Éphèse, la capitale cultivée de la province d’Asie, en passant par la mise par écrit des prédications de Pierre et de Paul (respectivement par Marc et Luc), les Évangiles s’ajoutent ainsi les uns aux autres, jusqu’à constituer un ensemble de quatre témoignages. Donc, il y en a quatre parce qu’en réalité ils sont quatre, pas plus, pas moins.

Les quatre faces du Verbe divin : Un peu plus loin, Irénée évoque deux dangers liés aux groupes chrétiens déviants, dits « gnostiques », contre lesquels il polémique : d’une part la prolifération, dans certaines de ces communautés, d’autres « Évangiles », à tonalité très spirituelle (L’Évangile de vérité, l’Évangile de Philippe, etc.), de l’autre, la réduction à un seul Évangile, en particulier celui proposé par Marcion, qui s’en tient au seul texte de Luc (à cause de son lien avec Paul), et encore, pas en entier. Les « Évangiles » marginaux ne font pas illusion, et Irénée semble redouter surtout l’appauvrissement du patrimoine évangélique par réduction. Sa pensée tourne alors à la méditation, on pourrait même dire à la contemplation du don de Dieu dans son action de révélation.

 Pourquoi l’Église reconnaît-elle quatre Évangiles et quelle est la portée de ce nombre plein et équilibré ? Il se laisse ici guider par deux grandes visions bibliques, où transparait la continuité profonde entre l’ancien et le nouveau Testament : celle qui ouvre le livre du prophète Ezechiel où, avec un puissant dynamisme, la gloire de Dieu apparaît au milieu de vivants à quatre faces, et celle du quatrième chapitre de l’Apocalypse, qui décrit le trône de Dieu entouré de quatre vivants. Le mot que l’on traduit ordinairement par « vivant », comme je viens de la faire, est simplement en grec le mot « animal » ou « être animé », l’homme en faisant partie. Sur la base de ces images bibliques, il est clair pour Irénée qu’il s’agit là d’une manifestation du Fils de Dieu fait homme, du Verbe divin se révélant par quatre « faces » de lui-même, qu’il dévoile à travers ces « vivants » qui l’accompagnent et l’entourent, en clair que ces visions ne sont autre chose qu’une prophétie du Christ au cœur des quatre Évangiles de l’Église. Et comme celle-ci est missionnaire et que l’Évangile a vocation à être porté aux quatre coins du monde, cette image montre aussi comment un unique Seigneur Jésus-Christ apporte le salut à tous.

 Le message de chaque Évangile : Laissant de côté Ezechiel, Irénée se centre sur la vision de l’Apocalypse, qui énumère « une apparence de lion, une apparence de veau (ou jeune taureau), une apparence d’homme et une apparence d’aigle » (Ap. 4, 7) pour décrire ces quatre vivants. Justement, le Fils de Dieu fait homme est d’abord uni au Père et détenteur avec lui de la puissance divines (le « lion »), mais il est aussi le grand-prêtre, l’intercesseur unique qui a offert le vrai sacrifice pour le salut du monde (le « veau » ou « jeune taureau » des sacrifices d’expiation du culte juif), naturellement, il est aussi « homme » s’étant fait l’un de nous et, comme il nous entraîne vers le ciel et nous envoie l’Esprit, il ressemble à un aigle en vol. À partir de là, sur la base peut-être de traditions orales antérieures, Irénée tente d’appliquer cette intuition aux quatre Évangiles concrets reçus par les Églises.

 L’Évangile de Jean, déjà par son prologue, manifeste particulièrement la grandeur et la majesté divine du Verbe, y compris en tant qu’homme. L’évangile de Luc s’ouvre sur une scène de culte sacrificiel dans le temple de Jérusalem, et surtout il montre en son centre, à travers la parabole du fils prodigue, le « veau gras » que le Père a sacrifié « pour le retour du fils perdu » (Lc 15, 23). Chez Matthieu, le Christ apparaît vraiment homme, par sa généalogie, par l’attachement qu’il montre à son peuple et à sa loi, par sa patience aussi, lui qui revendique d’être « doux et humble de cœur » (Mt 11, 29). Marc enfin s’ouvre sur le choc de l’Esprit se saisissant de Jean-Baptiste et faisant de lui « la voix de Dieu dans le désert » (Mc 1, 3) et se referme sur Jésus « enlevé au ciel et assis à la droite du Père » ainsi que sur la prédication inspirée des apôtres qui portent la parole « de tous côtés » (Mc 16, 19-20), il s’agit donc d’un évangile qui manifeste l’action de l’Esprit, visualisée par le vol de l’aigle.

L’image des animaux : À ce point, on sera peut-être surpris de ces identifications des faces ou images de vivants. La tradition dont témoigne Irénée et qui est attestée dans diverses Églises jusqu’à la fin du IVe siècle associe en effet Jean au lion et Marc à l’aigle, comme on vient de le voir. Or l’attribution des animaux devenue courante en Occident n’est pas celle-là, car si Matthieu est toujours lié à la figure d’homme et Luc à celle du veau, les animaux associés à Marc et à Jean ont été intervertis par le bibliste saint Jérôme, qui préférait partir de la vision d’Ezechiel et de son ordre homme, lion, veau, aigle (Ez 1, 10), qu’il superposait à l’ordre de rédaction des Évangiles tel qu’il le trouvait chez Origène et qui est encore celui de nos éditions : Matthieu, Marc, Luc et Jean.

Quoi qu’il en soit de cette permutation, l’idée-force d’Irénée est toujours perceptible sur les tympans ou les vitraux des églises médiévales (et auparavant sur des mosaïques d’absides) : un unique Verbe de Dieu, le Seigneur Jésus-Christ se donne à connaître à travers les quatre dimensions principales de son œuvre de salut, dans le trésor qu’est à jamais pour l’Église le recueil des quatre évangiles, ni plus, ni moins.